L’histoire de Neuwiller et de son abbaye

Neuwiller et son abbaye

La découverte dans les environs de Neuwiller-lès-Saverne de pierres polissoirs et de haches néolithiques atteste d’une présence humaine fort ancienne sur le site. Si les premières mentions écrites du lieu ne remontent qu’à 1070 (Novum Villare), l’origine connue de Neuwiller correspond à la fondation vers 730 par Sigebald, évêque de Metz, d’un monastère bénédictin dédié aux apôtres Pierre et Paul. En 830, Drogon, autre évêque de Metz fit transférer les reliques de Saint Adelphe à l’abbaye de Neuwiller. Ainsi, dès le IXème siècle, l’abbaye bénéficia d’une prospérité croissante avec la venue des pèlerins. Pour les évêques de Metz, ce village constituait avec Marmoutier les bastions messins les plus avancés en territoire alsacien. Le rayonnement de l’abbaye était important puisqu’elle possédait au XIIème siècle les églises d’une quinzaine de villages dont plusieurs situés au-delà du temporel * de l’évêché de Metz. L’abbaye relevait sur le plan spirituel du diocèse de Strasbourg mais dépendait au niveau des affaires temporelles de Metz qui avait, jusque-là, dirigé cette dépendance sans l’intermédiaire d’un avoué. A cette époque, le château du Herrenstein était le siège de l’avoué ou du sous-avoué. Parmi ceux qui occupèrent successivement le château apparurent les seigneurs de Lichtenberg. Ces derniers étaient particulièrement intéressés par les importantes possessions de l’abbaye. En 1260, ils tentèrent de s’en emparer par la force et échouèrent. Au XIVème siècle, ils finirent par obtenir le droit de conduite de Neuwiller après avoir consenti des prêts importants aux évêques de Metz qui ne purent racheter leurs engagements. En 1480, Neuwiller revint aux Comtes de Hanau. En 1496, à la demande de l’évêque de Strasbourg, le Pape Alexandre VI transforma l’abbaye bénédictine en chapitre séculier. Les chanoines de Saint Adelphe furent intégrés au nouveau chapitre. La collégiale Saints Pierre et Paul était alors composée d’une vingtaine de chanoines et de six vicaires. L’un des chanoines était curé, assisté d’un vice-pléban. L’église Saint Adelphe resta l’église paroissiale mais toutes les fonctions se firent dans la collégiale. La paroisse était unie au chapitre qui restait seigneur temporel de l’enclos et qui était chargé de l’entretien des deux églises. Lors du soulèvement des paysans en 1525, l’abbaye fut pillée et les demeures des chanoines saccagées. Philippe III de Hanau profita de l’occasion pour participer au pillage et faire disparaitre les chartes qui lui étaient défavorables. Lors de cette guerre, l’évêché de Metz essaya en vais de récupérer ses anciens droits. Après ces troubles et les guerres du XVIIème siècle, le chapitre réussit toutefois à rétablir une situation très détériorée puisqu’il possédait à nouveau des droits dimiers plus ou moins importants dans une quarantaine de villages d’Alsace. Au cours du XVIIIème siècle, une série de constructions furent réalisées (façade et tours de la collégiale,…) En 1789, à la Révolution, le chapitre fut supprimé, et les biens du clergé confisqués et vendus. Neuwiller fut alors rattaché au canton de Bouxwiller

Crédit / pour aller plus loin : Association Patrimoine

La vraie histoire de la «réunion»
de Neuwiller-lès-Saverne à la France*

« 1633-1933 en commémoration du tricentenaire de la réunion à la France », c’est ce que l’on peut lire sur le fronton de la mairie de Neuwiller-lès-Saverne. 15 ans après la fin de la Première Guerre mondiale, et le « retour » de l’Alsace dans le giron français, la municipalité avait souhaité rappeler l’ancienneté de son intégration à la France. Seulement, les événements de 1633 ne correspondaient nullement à une « réunion ». Petite explication…

La guerre de Trente Ans

Déclenchée en 1618, la guerre de Trente Ans oppose, à l’intérieur du Saint-Empire romain germanique, l’empereur Habsbourg, catholique, aux princes protestants. Une première vague de pillages s’abat sur l’Alsace en 1621, mais le comte de Hanau-Lichtenberg, auquel appartient Neuwiller, achète la protection de ses terres.

Les combats reviennent en 1632, lorsque les Suédois, soutien de la cause protestante, s’emparent d’une grande partie de l’Alsace. Le comte de Hanau-Lichtenberg accueille les troupes suédoises, mais celles-ci ne peuvent rester et le comte va chercher une protection plus efficace… en traitant avec la France.

Roi catholique, Louis XIII soutient les princes protestants dans le but d’affaiblir l’empereur, son grand rival. La France recherche l’accès à Strasbourg et à son pont sur le Rhin. Avant même de déclarer la guerre à l’empereur, en 1635, l’armée française commence à investir l’Alsace : le 19 décembre 1633, Bouxwiller, Ingwiller et Neuwiller lui ouvrent leurs portes.

Une protection provisoire

Alors, quel est le problème avec l’inscription sur le fronton de la mairie de Neuwiller ? C’est qu’elle transforme en une intégration à la France ce qui n’était qu’une protection temporaire. Des traités de protection temporaire sont d’ailleurs signés avec la France par d’autres seigneurs et villes d’Alsace. C’est le cas, par exemple, de Haguenau et Saverne (1634).

Les traités concernant ces deux villes précisent qu’une fois la guerre terminée, elles seront remises respectivement à l’empire et à l’évêché. Idem pour Colmar (1635).

Notons que la venue des troupes françaises ne parviendra pas à protéger totalement des affres de la guerre le comté de Hanau-Lichtenberg, qui, déjà dévasté, aura encore à subir plusieurs pillages.

De l’hommage… à l’annexion

La guerre de Trente Ans s’achève en 1648, par la signature des traités de Westphalie. La France y obtient, en Alsace, tout ce qui dépendait de l’empereur et de la maison de Habsbourg, mais aussi des droits sur les 10 villes impériales, lesquelles restent cependant rattachées au Saint-Empire. Le comté de Hanau-Lichtenberg continue, lui aussi, de faire partie de ce dernier.

Pendant la guerre de Hollande (1672-1678), le roi de France annexe les villes impériales. En 1680, on demande aux seigneurs de Basse-Alsace de reconnaître la souveraineté royale. Pour le comté de Hanau-Lichtenberg, la prestation d’hommage a lieu en avril 1681.

S’il faut retenir une date pour l’intégration de Neuwiller à la France, ce serait donc celle-ci. Mais on pourrait choisir une date de 20 ans plus récente, puisqu’à l’issue de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, le traité de Ryswick avait replacé le comté de Hanau-Lichtenberg sous la souveraineté de l’empereur ; le comte Johann Reinhard III a négocié un compromis avec Louis XIV : le noble alsacien reconnaissait la suprématie du roi de France contre l’octroi, en 1701, de lettres-patentes confirmant ses droits seigneuriaux.

Soumis au roi de France, le comté de Hanau-Lichtenberg n’est finalement uni au territoire français que sous la Révolution, en 1792, avec la mise sous séquestre par le département du Bas-Rhin des biens des « princes possessionnés ». Les domaines de ces princes seront officiellement rattachés à la France par le traité de Lunéville en 1801… soit 168 années après 1633.

Eric Ettwiller

Agrégé, docteur en histoire

 

*Version abrégée d’un article qui a paru dans Land un Sproch au début de l’année 2025.