Crédit / pour aller plus loin : Association Patrimoine
« 1633-1933 en commémoration du tricentenaire de la réunion à la France », c’est ce que l’on peut lire sur le fronton de la mairie de Neuwiller-lès-Saverne. 15 ans après la fin de la Première Guerre mondiale, et le « retour » de l’Alsace dans le giron français, la municipalité avait souhaité rappeler l’ancienneté de son intégration à la France. Seulement, les événements de 1633 ne correspondaient nullement à une « réunion ». Petite explication…
La guerre de Trente Ans
Déclenchée en 1618, la guerre de Trente Ans oppose, à l’intérieur du Saint-Empire romain germanique, l’empereur Habsbourg, catholique, aux princes protestants. Une première vague de pillages s’abat sur l’Alsace en 1621, mais le comte de Hanau-Lichtenberg, auquel appartient Neuwiller, achète la protection de ses terres.
Les combats reviennent en 1632, lorsque les Suédois, soutien de la cause protestante, s’emparent d’une grande partie de l’Alsace. Le comte de Hanau-Lichtenberg accueille les troupes suédoises, mais celles-ci ne peuvent rester et le comte va chercher une protection plus efficace… en traitant avec la France.
Roi catholique, Louis XIII soutient les princes protestants dans le but d’affaiblir l’empereur, son grand rival. La France recherche l’accès à Strasbourg et à son pont sur le Rhin. Avant même de déclarer la guerre à l’empereur, en 1635, l’armée française commence à investir l’Alsace : le 19 décembre 1633, Bouxwiller, Ingwiller et Neuwiller lui ouvrent leurs portes.
Une protection provisoire
Alors, quel est le problème avec l’inscription sur le fronton de la mairie de Neuwiller ? C’est qu’elle transforme en une intégration à la France ce qui n’était qu’une protection temporaire. Des traités de protection temporaire sont d’ailleurs signés avec la France par d’autres seigneurs et villes d’Alsace. C’est le cas, par exemple, de Haguenau et Saverne (1634).
Les traités concernant ces deux villes précisent qu’une fois la guerre terminée, elles seront remises respectivement à l’empire et à l’évêché. Idem pour Colmar (1635).
Notons que la venue des troupes françaises ne parviendra pas à protéger totalement des affres de la guerre le comté de Hanau-Lichtenberg, qui, déjà dévasté, aura encore à subir plusieurs pillages.
De l’hommage… à l’annexion
La guerre de Trente Ans s’achève en 1648, par la signature des traités de Westphalie. La France y obtient, en Alsace, tout ce qui dépendait de l’empereur et de la maison de Habsbourg, mais aussi des droits sur les 10 villes impériales, lesquelles restent cependant rattachées au Saint-Empire. Le comté de Hanau-Lichtenberg continue, lui aussi, de faire partie de ce dernier.
Pendant la guerre de Hollande (1672-1678), le roi de France annexe les villes impériales. En 1680, on demande aux seigneurs de Basse-Alsace de reconnaître la souveraineté royale. Pour le comté de Hanau-Lichtenberg, la prestation d’hommage a lieu en avril 1681.
S’il faut retenir une date pour l’intégration de Neuwiller à la France, ce serait donc celle-ci. Mais on pourrait choisir une date de 20 ans plus récente, puisqu’à l’issue de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, le traité de Ryswick avait replacé le comté de Hanau-Lichtenberg sous la souveraineté de l’empereur ; le comte Johann Reinhard III a négocié un compromis avec Louis XIV : le noble alsacien reconnaissait la suprématie du roi de France contre l’octroi, en 1701, de lettres-patentes confirmant ses droits seigneuriaux.
Soumis au roi de France, le comté de Hanau-Lichtenberg n’est finalement uni au territoire français que sous la Révolution, en 1792, avec la mise sous séquestre par le département du Bas-Rhin des biens des « princes possessionnés ». Les domaines de ces princes seront officiellement rattachés à la France par le traité de Lunéville en 1801… soit 168 années après 1633.
Eric Ettwiller
Agrégé, docteur en histoire
*Version abrégée d’un article qui a paru dans Land un Sproch au début de l’année 2025.